Alexandre Bonnier

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Journal La MONTAGNE - 4 septembre 1992

Une lettre d'Alexandre Bonnier - 1991

Alexandre Bonnier, retenu par d'autres obligations, n'a pu participer à cette réunion. Jean-Marie Albagnac nous a adressé, avec l’accord de l'auteur, la lettre suivante envoyée à ses anciens et anciennes élèves par Alexandre Bonnier, que l’on retrouve égal à lui-même, vingt-quatre ans après son séjour parmi nous :

Vous m'avez donné un grand plaisir en étant passés dans ma vie de l'homme très jeune que j'étais alors. Il me semble que je jouais sur votre esprit à la façon d'une musique de charme, comme vous jouiez sur le mien. J'étais si jeune ! Je le suis plus encore aujourd'hui car j'ai moins de conventions qu'alors.

Vous étiez seuls Je l’étais aussi. Notre différence d'âge devait être de dix années. J'étais votre directeur on ne sait trop pourquoi. Mais dites-moi, votre directeur de quoi ? Aujourd'hui, je le sais : de la raison d'être ! Drôlerie !

Vous étiez belles petites filles, et vous les garçons, j'aurais aimé me battre à poings nus contre vous. Je ne sais trop aujourd'hui ce que nous avons fait ensemble d'essentiel, mais je crois qu'alors j'avais 103 ans et qu'à ce jour j'en ai 2.500.

Ces 2.500 ans passés sur ma peau m'amusent et pourtant me font peur, car j'en veux davantage, à la fois dans ma pensée et dans mes paumes.

Ne voyez aucun pessimisme dans mon propos. Je puis vous l'avouer : je suis heureux, encore assez beau parfois, et n'ai aucun cheveu blanc. Les filles encore me regardent comme je les regarde, comme si en elles il y avait une nostalgie ancienne, vieille de leur naissance.

Heureux avec mon amante si belle qui, depuis quinze ans, m'étonne comme on regarde voler un oiseau.

puis, puis, il faut l'avouer, parce que je sais que l'exigence de soi, ou son abandon, valent bien l'art, même si celui-ci est ce qui m'importe. Moi, mes origines sont la bêtise. J'en suis vaguement sorti. Aussi vaguement, j'ai tenté de vous aider à faire de même.

Je regrette de ne pas être avec vous ce soir. Je donne une conférence ailleurs.

Mais enfin, restons vigilants. Il y a encore bien des combats à mener pour la joie de nous-mêmes. »

a bonnier